04/11/2011

Incendie à Charlie Hebdo, les éditos.

Le Monde (Editorial)

"(...)L'islam interdit la représentation du Prophète Mahomet. Comme le journal danois et les autres publications qui l'avaient suivi par solidarité, Charlie Hebdo a choisi d'ignorer cette règle. Il ne s'agit pas d'une règle de droit ni d'une règle d'un autre ordre opposable dans des pays laïcs comme la France. Il existe, en revanche, une règle de droit, en vigueur en France et en Europe, qui consacre la liberté d'expression. Quoi que l'on puisse penser des choix éditoriaux de Charlie Hebdo, de l'esthétique de ses couvertures et de la délicatesse de son style, l'hebdomadaire annonce clairement la couleur satirique. Rien ne saurait justifier ni les attaques contre le site Internet d'un organe de presse ni l'incendie de ses locaux comme manifestation d'un désaccord avec son contenu. () Les attaques physiques contre Charlie Hebdo ne sont pas plus acceptables que les interventions de groupes de fondamentalistes chrétiens qui ont interrompu, à plusieurs reprises depuis le 20 octobre, la représentation parisienne de la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu.(...)"


L'Humanité (Patrick Apel-Muller)

"(...) Ils prétendent respecter le sacré sans respecter ce qu'il y a de plus sacré, l'infinie diversité de la pensée humaine et ce qu'elle a de plus émancipé, la création artistique. Et le droit de chacun de ne pas manifester déférence ou dévotion à l'égard du culte d'un autre. Avec un numéro spécial baptisé Charia Hebdo, nos confrères dénonçaient l'instauration de la charia par le CNT en Libye, dans le sillage des bombardiers de l'Otan. À leur manière, provocatrice et grinçante, ils mettent le doigt là où ça fait mal, comme dans ce pays où l'invocation de la liberté aboutit à la mettre au ban. C'est en faisant cela que la presse gagne ses lettres de noblesse. C'est aussi pourquoi les puissants du monde, en turban ou en costume trois pièces, la préfèrent domestiquée et uniforme, ou bien étouffée par manque de moyens. Et il faut dire le courage de l'équipe de Charlie pour propager leur saine insolence, malgré les vents mauvais de l'économie de la presse et les tentatives de l'apprivoiser."


La Voix du Nord (Olivier Berger)

"(...)Nous ne disserterons pas sur la finesse et la justesse de l'analyse de Charlie à propos du succès électoral d'Ennahdha en Tunisie ou de l'annonce de l'inspiration par la charia des futures lois en Libye. Franchement hors sujet. On aime, on n'aime pas, on s'en moque. Le corporatisme n'y est pour rien non plus. Tout simplement, la critique et donc le blasphème sont dessignes distinctifs de notre liberté d'expression. "Il n'y a pas de démocratie sans irrévérence, sans parodie ou sans satire", a justement commenté hier Frédéric Mitterrand, le ministre de la Culture. La représentation du prophète de l'islam, Mahomet, reste interdite pour les musulmans. On peut le concevoir et même aller jusqu'à comprendre pourquoi le Pakistan et bien d'autres possèdent une loi punissant le blasphème. Mais voilà, la France est laïque et assez fière de l'être depuis 1905. Cette valeur, bien sûr, chamboule notre rapport au sacré. Par définition, des intégristes islamistes ou chrétiens (la destruction de Piss Christ à Avignon en avril, les perturbations actuelles d'une pièce de théâtre à Paris, Sur le concept du visage du fils de Dieu) ne peuvent s'y résoudre. Bref, la lutte continue."

Sud-ouest (Bruno Dive)

"(...) Autant dire que de part et d'autre de la Méditerranée, la face la plus obscure et intolérante de l'islam est à l'oeuvre. On se gardera bien sûr de généraliser, comme on se gardera d'assimiler l'ensemble des catholiques au petit groupe d'intégristes qui dénonce en ce moment, parfois violemment, une pièce de théâtre qui n'a pas l'heur de lui plaire. Les divers responsables des musulmans français ont d'ailleurs condamné l'attentat contre Charlie Hebdo. Pourtant, leurs déclarations successives suscitent une gêne. Les condamnations qu'ils font de l'attentat sont trop souvent assorties de réserves. On condamne… mais on comprend quand même. Sauf à laisser prospérer une islamophobie dont ils dénoncent par ailleurs les surgeons, il serait temps que les dirigeants de l'islam français se ressaisissent et s'intègrent complètement au cadre laïc de la République. On aurait aimé les entendre dire qu'un journal qui brûle, c'est toujours une défaite de la pensée."



Vosges Matin (Gérard Noël)

Les uns sont catholiques et viennent perturber des pièces de théâtre jugées par eux blasphématoires, les autres sont musulmans et, ne souffrant pas qu'on passe leur prophète au tamis de l'humour, mettent le feu au siège d'un journal. Ils appartiennent à la même mouvance, celle des intégristes. La question n'est pas de savoir si les pièces incriminées étaient de qualité ou si le numéro de Charlie Hebdo était d'un comique irrésistible. Non, il s'agit de savoir si la liberté d'expression est à géométrie variable et ne s'applique pas lorsqu'est agité l'épouvantail de la religion. Une telle conception restrictive est inconcevable. Elle est une atteinte à la libre création, au libre commentaire, à la libre appréciation. La liberté d'expression fait la grandeur d'une société sans tabous, où les citoyens savent séparer le bon grain de l'ivraie, peuvent critiquer à leur tour un roman, une pièce, une chanson, un article sans avoir pour autant recours à la violence. (...)"


Le Courrier Picard (Didier Louis)

"(...) Nous sommes loin de 2006, lors de la publication des caricatures du prophète, lorsqu'avait été invoquée l'apologie de la violence. D'évidence, nous sommes dans un tout autre registre : l'humour potache et, si l'on osait, la " déconne ". En matière de provocation, l'hebdomadaire satirique a fait, selon le point de vue où l'on se place, beaucoup mieux ou bien pire. Que ses choix éditoriaux et son ton politiquement incorrect exaspèrent, c'est une chose. Autre chose est d'édicter des interdits au nom d'une religion. Dans un état de droit, seule la justice fixe des limites à la presse. Quant à Mahomet, l'islam proscrivant toute représentation, on peut être parfaitement légitime à s'estimer blessé par un dessin. On ne l'est pas à vouloir imposer ce principe à une société républicaine et laïque. Ni à vouloir empêcher un journal de tourner en dérision la victoire des islamistes en Tunisie, ou la promesse de retour de la charia en Libye. Faut pas charrier."


Nord Eclair (Patrick Pépin)

"Hier, Charlie Hebdo a été lourdement attaqué au point que l’hebdomadaire a dû trouver le couvert auprès de confrères afin de pouvoir préparer l’édition de la semaine prochaine. C’est la première fois qu’en France un journal est détruit par un attentat. La phase stupeur passée, il faut essayer de comprendre le sens de ce qui est advenu hier. D’abord, il faut rappeler deux points essentiels : que ceux qui ont commis cet acte au nom de leur choix religieux n’impliquent en aucun cas la communauté musulmane, croyante et pratiquante de France, pas plus que les catholiques français n’ont à porter sur leurs épaules les manifestations des lefebvristes contre une pièce de théâtre ; ensuite, que les intégrismes religieux sont en train de resurgir partout dans le monde et que naturellement - dans une logique victimaire - ils pratiquent une stratégie du faible au fort qui les amène à commettre des actes d’une violence non contenue.(...) Soutenir la liberté de penser et de publier de Charlie Hebdo, et ce quel qu’en soit le prix, c’est tout simplement défendre un acquis constitutif de notre identité collective."

La Charente Libre (Jacques Guyon)

"(...) Cet attentat contre un journal - le premier depuis la guerre d'Algérie - renvoie aux manifestations de haine qui avaient traversé le monde musulman et aux tentatives de meurtre contre un dessinateur du journal danois qui avait publié des caricatures de Mahomet. Caricatures qui avaient été reprises en signe de solidarité par plusieurs journaux occidentaux, dont Charlie Hebdo. Hier, parmi les réactions de soutien unanimes du monde politique, syndical et associatif on a pu noter celle du Conseil Français du Culte Musulman. Une évolution qu'il faut saluer quand on se souvient que celui-ci avait déposé plainte en justice pour "blasphème" contre Charlie Hebdo lors de l'épisode précédent. (...)"


Le Républicain Lorrain (Philippe Waucampt)

"(...) il n'est aucune valeur dont la préservation exige un combat aussi constant que la liberté de création et d'expression. La mobilisation d'intégristes chrétiens contre la représentation à Paris d'une pièce de l'Italien Romeo Castellucci en fournit l'illustration la plus récente. Et l'attentat qui a ravagé les locaux de Charlie Hebdo la démonstration la plus intolérable. On comprend que la sensibilité de certains croyants puisse être heurtée par la représentation parfois faite de leur foi. Il n'en reste pas moins qu'il y a des tribunaux devant lesquels porter ce type de litiges. Chercher à régler ceux-ci par la menace, le piratage informatique et le recours à la violence relève de ces mêmes instances. Et constitue une atteinte à un modèle de cohabitation entre opinions et croyances arrivé si difficilement à maturité qu'il ne tolère aucun manquement."

Le Journal de la Haute-Marne (Patrice Chabanet)

"Charlie Hebdo avait pris le parti de charrier la "charia molle". La charia dure lui a répondu de la manière la plus lâche. Certes l'incendie criminel n'a pas été signé, mais tout laisse supposer que les décérébrés de l'intégrisme ont frappé : le même jour, le site du journal a été piraté. Il y a aussi le précédent des caricatures de Mahomet qui avait déclenché l'ire des totalitaires islamistes. L'attentat d'hier ne supporte aucune excuse. Commencer benoîtement à expliquer que de pieux fidèles, choqués par des dessins, puissent passer à l'acte, c'est accepter le garrot de l'intolérance. Dans nos démocraties, personne n'est obligé d'acheter un hebdomadaire dont on sait que l'humour caustique ou vache est la marque de fabrique. Et chacun peut saisir la Justice s'il se sent agressé dans ses convictions. La France est un pays laïc qui admet toutes les expressions religieuses et la liberté d'expression de ceux qui ne croient pas. Elle doit rester inflexible face à ces velléités qui veulent saper notre pacte républicain.(...)"

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